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La tête de l'art

10 novembre 2013

Fashion victim

Frank Cadogan Cowper (1877-1958)

Vanité

1907, Royal Academy of Arts, Londres

Le miroir au cadre ovale que cette jeune personne tient dans sa main gauche suffirait amplement à justifier le titre de l’œuvre : évoquant le reflet fugace et putride des « vanités » humaines, ce précieux colifichet (accessoire indispensable à toute fashionista qui se respecte), qui du reste attire le regard transversal de sa propriétaire, n’est pourtant pas, loin s’en faut, le motif principal du tableau.

Frank Cowper 1

Car au-delà de la songerie ou, pour les moins paresseux, de l’exercice intellectuel auquel invite l’allégorie, ce qui suscite l’admiration et émoustille le spectateur, c’est bien sûr avant tout l’accoutrement et la « mise en beauté » (comme on lit dans les magazines féminins) de cette ravissante créature. Le peintre l’a, en effet, représentée parée et richement vêtue à la mode florentine du Quattrocento, librement adaptée au goût british de l’époque victorienne. L’artifice constitue d’ailleurs un trait caractéristique de la peinture du mouvement préraphaélite, dont Frank Cadogan Cowper est l’un des tout derniers représentants.

Quant à l’étoffe écarlate et brodée d’or de ce qui lui tient lieu de couvre-chef, on la conçoit volontiers comme une parodie d’auréole. La note est ironique : on imagine sans peine que la belle gosse nimbée de la sorte n’a rien d’une sainte.

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20 octobre 2013

Le goût des navets

Illustratrice sans prétention et un peu tombée dans l’oubli, Germaine Bouret (1907-1953), dont le refus entêté de travailler pour Walt Disney ne fut pas le moindre mérite, consacra l’essentiel de sa carrière à réaliser des centaines de gravures (commercialisées sous forme de cartes postales) représentant des enfants dans des situations cocasses ou croquignolettes, mais rarement mièvres.

On peut diversement apprécier le style et l’humour de la plupart de ses dessins au charme désuet, sans pour autant adorer l’ensemble de son œuvre, mais force est de reconnaître qu’une poignée de ses créations sort du lot.

Parmi ces dernières, voici une petite pépite.

Germaine Bouret Navets

On découvre une gamine pour qui l’épluchage des légumes n’a pas vraiment l’air d’être une corvée, à en juger par la bouille à la fois satisfaite et coquine qu’elle affiche. Mais ce qui interpelle, c’est surtout son cadet, un blondinet joufflu haut comme trois pommes, qui la dévore des yeux et lui déclare sans rire : « J’aime bien les navets, mais j’aime pas l’goût !... »

Merveilleuse naïveté de l’enfance, pleine de sensibilité spontanée, et dont l’expression maladroite (car encore ignorante de la pensée rigoureuse et cohérente) n’a d’égale que la verve involontairement poétique !

Mais que veut-il dire par là ? On aimerait entendre le bambin (que l’on devine facétieux) développer ou préciser sa pensée… Car il ne semble pas avoir conscience de l’aspect contradictoire de son propos : comment peut-on bien aimer un produit exclusivement destiné à l’alimentation sans en aimer le goût ? Il est donc vraisemblable que le navet représente à ses yeux bien plus qu’une vulgaire racine comestible garnissant le pot-au-feu…

Nul besoin d’être fin psychologue pour deviner pourtant qu’il n’aime pas les navets ! Profondément absorbé dans la contemplation de sa grande sœur, cet épicurien en culottes courtes est manifestement en train d’assouvir avec délectation une irrépressible pulsion scopique et savoure le moment présent avec une jubilation non dissimulée. De là à parler de « perversion polymorphe » (ou détournée), il n’y a qu’un pas : confortablement accoudé sur la table et jouissant du spectacle, il s’abandonne au véritable objet de son désir ; car ce qu’il « aime bien », au fond, c’est la charmante compagnie de son aînée et la dextérité avec laquelle celle-ci manipule et détaille les prosaïques légumes.

On aime à penser que ce môme a devant lui un bel avenir de libertin…

13 octobre 2013

Autodérision?

Gabriel von Max (1840-1915)

Les singes critiques d’art

1889, Nouvelle Pinacothèque, Munich

Gabriel_Cornelius_von_Max,_1840-1915,_Monkeys_as_Judges_of_Art,_18892

Une joyeuse bande de singes chahute devant un tableau dont on ne voit qu’un fragment du cadre doré.

L’intention de l’artiste est-elle de tourner en ridicule les juges et autres commentateurs impertinents, ou se moque-t-il tout simplement de sa propre peinture ?...

29 septembre 2013

Portrait de chien

George van der Mijn (1726/27-1763)

Antoinette Metayer

1759, Rijksmuseum, Amsterdam

 

Mijn

Les adorateurs inconditionnels de Snoopy, Pollux et Rantanplan, d’une part, et ceux qu’agace, voire horripile (au sens étymologique) la gente canine, d’autre part, ne nous donneront pas tort de penser que le monde se divise en deux catégories : ceux qui aiment les chiens et ceux qui ne les aiment pas (leur préférant éventuellement les chats).

Mais ce n’est pas ici le lieu de dire tout le mal que nous pensons des propriétaires de ces vilaines créatures puantes et baveuses qui, avec une assiduité déconcertante, souillent sans vergogne de leurs déjections le pavé des petites rues adjacentes à celle du faubourg du Temple, y marquent méthodiquement leur territoire (selon l’expression consacrée), grognent après les honnêtes vagabonds, etc. Et comme toujours, nous entendons déjà l’objection qui brûle les lèvres de leurs plus fervents défenseurs : « ce ne sont pas les chiens qu’il faut incriminer, mais leurs maîtres ! » Précisément, ce sont ces derniers qui sont visés ; il n’empêche qu’on préfèrerait aussi parfois voir leurs cabots en peinture plutôt qu’en chair et en os…

Justement (subtile transition), voici l’étonnant portrait d’une jeune femme et de son fidèle compagnon à quatre pattes ! Antoinette Metayer, dont le frère était collectionneur d’art et orfèvre à Amsterdam, offre l’image sereine d’une grande bourgeoise, oisive et parfaitement inutile, mais néanmoins bien nourrie ; respectable et propre sur elle, on la devine d’une piété édifiante comme doit l’être son intacte vertu. Le tableau est de facture classique, d’apparence réaliste, dans la lignée des peintures de genre et autres portraits typiques des XVIIème et XVIIIème siècles hollandais. Bref, un traitement on ne peut plus conformiste pour un sujet et un goût qui ne le sont pas moins… À ceci près que la jeune femme a les yeux baissés et ne regarde pas le peintre, ni a fortiori le spectateur, mais son animal de compagnie, en l’occurrence une espèce d’épagneul nain.

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Quant au toutou représenté, il se contente de nous observer fixement et semble prendre la pose, comme s’il était le modèle principal de la composition : un clin d’œil de l’artiste en plein travail lui a peut-être mis la puce à l’oreille quant à sa véritable intention, à savoir de faire de lui, et non de sa maîtresse, la vedette du tableau… Et il faut avouer que le résultat ne laisse pas de charmer : même si la figure humaine légèrement souriante est censée donner son sens à l’œuvre, c’est l’animal, assez gracieux et non dépourvu d’une certaine allure, qui attire le regard ; ses pattes gentiment posées, la finesse de son museau, sa truffe et son poil soignés ainsi que son air inoffensif et placide nous le rendent plutôt sympathique et font de ce portrait un petit chef d’œuvre d’originalité.

15 septembre 2013

Angoissante beauté

Carlo Carrà (1881-1966)

La maîtresse de l’ingénieur

1921, Fondation Peggy Guggenheim, Venise

 

Carlo Carrà (1881-1966)

Une étrange figure féminine posée à même le sol se découpe sur un fond nocturne (ou auroral, à en juger par la lueur au ras de l’horizon ?), tandis que sur la droite, un compas et une équerre sont représentés comme plaqués à la verticale le long d’un pan de mur. La scène semble baignée d’une clarté lunaire ; deux ombres portées indiquent que la principale source de lumière provient de la droite. Voilà pour la description sommaire.

 

Nous sommes dans un espace improbable, dont la perspective aléatoire et l’ambiance inquiétante sont communes à de nombreuses œuvres de la Pittura metafisica, un éphémère mouvement artistique italien fondé en 1917 par Carlo Carrà (avec son vieux copain Giorgio De Chirico).

 

Le titre du tableau nous est précieux : la tête oblongue représentée de profil, légèrement inclinée et dont la blancheur sculpturale se détache du fond, est celle de la « maîtresse », l’amoureuse de l’ingénieur ; la bouche entr'ouverte, elle affecte une expression rêveuse et contemplative, tout en fermant ostensiblement les yeux face aux instruments de travail de son amant. Pourtant, celui-ci demeure physiquement absent de la scène, seulement symbolisé par ses emblèmes… Dans ce temps suspendu, le désir et les sentiments semblent donc se jouer de la raison calculatrice désincarnée.

Pour le reste, les qualités esthétiques de l’œuvre, la saveur de son angoissante beauté, échappent aux outils et aux formules usuelles du discours explicatif, à l’instar de la femme aimante incomprise, en butte à la froideur géométrique de l’homme de science.

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24 juillet 2013

Carte postale

Il fallait donc attendre cette deuxième quinzaine de juillet (une fois passé le carnaval règlementaire, et donc imbécile, de la fête nationale) pour que les vacanciers privilégiés se résolvent enfin à déserter la capitale ! Et les sacro-saintes vacances estivales de livrer Paris aux touristes et aux épaves désargentées, tandis que bien loin des quais du RER, les Franciliens abominables goûtent béatement aux loisirs de la côte (d’Azur ou d’Opale, selon leur budget) dans une ambiance guillerette, et néanmoins caricaturale, digne des Vacances de monsieur Hulot.

Mais que sont devenues nos cartes postales d’antan ? Cette manie désuète de s’adresser par la poste quelques phrases griffonnées à la hâte, dont la futilité désinvolte n’a d’égale que la platitude, semble bel et bien en voie de disparition. Eh oui, car en cette triste époque d’e-mails à tout bout de champ (pour un oui, pour un non) et de SMS laconiques, on ne s’envoie plus guère de ces petits rectangles de papier cartonné (15 x 10 cm) aux illustrations si pittoresques… Et nous ne pouvons que songer avec nostalgie aux premières décennies du XXème siècle, cet âge d’or de la carte postale.

Entre autres raisons de perpétuer cette tradition épistolaire, en voilà une qui explique pourquoi la réception d’une carte postale s’accompagne toujours d’un petit frisson de bonheur : quelles que soient les circonstances, le message que porte son texte dénote nécessairement un optimisme déconcertant… Car même s’il est dévoré d’angoisse, miné par la dépression, parfaitement dégoûté de la vie (voire au bord du suicide), votre correspondant ne manquera pas de vous écrire qu’« il fait un temps splendide » et qu’il « passe des vacances de rêve ! – Bon souvenir de, etc. ».

Esquissons donc la conclusion que telle est la magie de la carte postale, qui donne raison au pathétique Aznavour : « la misère serait moins pénible au soleil »…

Et j’attends de pied ferme le petit plaisantin qui, par esprit de contradiction, aura l'audace de m’adresser un mot de ce genre :

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Bons baisers de partout!

27 juin 2013

Quand la S-F prévoit le futur

Le titre de cet article est délibérément provocateur : les auteurs de science-fiction n’ont jamais eu la prétention de prévoir, ni même d’anticiper l’avenir. Et pour cause : la S-F est une littérature de l’imaginaire ; à ce titre, elle n’est pas censée instruire le lecteur sur le devenir de l’humanité. Son but est de nous offrir du plaisir, du rêve, etc.

De fait, en passant en revue les grands thèmes chers à ce genre littéraire, force est de reconnaître que rien de ce qui est décrit ni narré dans les romans et nouvelles de science-fiction n’est arrivé : l’exploration spatiale est restée très limitée, l’homme n’a jamais conquis ni même visité une autre planète, il n’est entré en contact avec aucune intelligence extraterrestre, pas plus qu’il n’a voyagé dans le temps, les progrès de la robotique sont bien loin des conjectures d’un Asimov, aucun cataclysme planétaire ne s’est produit (pardon pour ce bref et caricatural aperçu d’une si riche littérature)…

Alors, pourquoi ce titre et ce préambule ? Eh bien parce que je viens de me replonger avec délectation dans « La grande anthologie de la science-fiction » éditée au Livre de poche sous la direction de Gérard Klein, et plus précisément dans le volume consacré aux Histoires de machines.

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En relisant la nouvelle de Murray Leinster intitulée Un logic nommé Joe, on ne peut manquer d’être interloqué par l’outil technologique qu’imagine et décrit l’auteur ; car celui-ci présente (bien involontairement) une incroyable vision prémonitoire de l’informatique moderne. Ce récit, paru en 1946 dans le fameux  pulp magazine américain « Astounding », raconte l’histoire d’un ordinateur individuel – machine improbable à l’époque – relié à une espèce de réservoir d’informations qui pourrait préfigurer notre Internet (c’est en tout cas ce qui vient immédiatement à l’esprit du lecteur d’aujourd’hui). À la suite d’un dysfonctionnement technique, l’ordinateur se met à divulguer des informations confidentielles, semant ainsi la pagaille dans la société tout entière…

Et voilà ce qu’on peut lire sous la plume de l’essayiste et critique Jacques Goimard dans la notice d’introduction qu’il consacre (en 1974) à cette nouvelle :

Les experts prévoient que vers 1990 les premières consoles informatiques feront leur apparition dans les foyers. A partir d’un tel « terminal » – doté d’un clavier comparable à celui d’une machine à écrire – il sera possible de gérer son compte en banque, de savoir quel temps il fera le lendemain ou le mois suivant et surtout d’interroger des mémoires centrales : plus besoin de dictionnaires, d’encyclopédies ni même de livres de cuisine.

Si la technologie était alors déjà connue, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il en avait bien pressenti les usages possibles….

 

21 juin 2013

À l'heure du smartphone...

À l'heure du smartphone, comment bien choisir son SOCOTEL S63 ? 

Eh oui, car le bon vieux poste téléphone S63 de notre enfance reprend du service : cet élégant appareil en plastique véritable est devenu la potiche décorative indispensable à tout intérieur dans le vent qui se respecte (un peu comme la vieille lampe à pétrole d’antan) ; paradoxalement pourtant, ce n’est pas très joli et ça ne sert à rien, mais tout le monde en a un chez soi.

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Cette photo et les 5 qui suivent ont été prises sur le vide-grenier du Quai de Jemmapes (Paris Xème) samedi 15 juin dernier.

Fabriqué et répandu en masse entre 1963 et 1985, ce téléphone filaire fixe (appréciez l’allitération), qu’il soit à cadran rotatif ou à clavier, se vend désormais d’occasion sur les marchés parisiens entre 20 et 80 € ; le prix – assez aléatoire – dépend de la couleur du modèle, de son état, de la tête du client, etc. Son design assez lourdingue et son look vaguement vintage le place au premier rang des objets convoités par les nostalgiques des seventies (un peu couillons sur les bords et pas trop difficiles à contenter).

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Le S63 est loin d’être une rareté : on en voit des kyrielles dans tous les vide-greniers de France et de Navarre… Son authenticité et son style sont reconnaissables au premier coup d’œil ; ce n’est pas vraiment une pièce de collection et encore moins une antiquaille, seulement voilà, comme il ne s’en fabrique plus depuis le milieu des années 80, on ne le trouve plus qu’en brocante, et de là à considérer qu’il s’agit d’un objet « ancien », il n’y a qu’un pas que certains marchands n’ont aucun scrupule à franchir.

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Plus il est laid, plus il est coûteux ; aussi le modèle orange acidulé (qui est le plus prisé) ne sera pas cédé à moins de 70 €. D’aucuns prétendront qu’il a été fabriqué en un moins grand nombre d’exemplaires… (Eh oui, c’est bien le vieux U43 qu’on aperçoit juste derrière, l’ancêtre en bakélite noire, nettement moins flashy) :

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Son tarif à l’unité est approchant sur les sites de commerce en ligne. Curieusement, il est possible d’en acheter deux pour moins que le prix d’un ! (ou alors, c’est une question de millésime : le marché de 1976 serait plus rare que celui de 1977 ?) :

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Mais il peut également atteindre des sommes exorbitantes :

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Enfin, après tout cela, pour ceux qui y tiennent encore vraiment, je n’aurais qu’un conseil à donner : franchir les limites du périphérique parisien ! Car les prix dégringolent dès qu’on s’éloigne de la capitale, et le particulier qui déballe son S63 en vide-grenier de banlieue cherche moins à en tirer du profit qu’à s’en débarrasser.

Et voilà : j’en ai finalement trouvé un à Boissy-Saint-Leger (tout au bout de la ligne A du RER). Je l’ai payé 1 €, sans même négocier ! À ce prix là, ça ne valait pas la peine de s’en priver…

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12 juin 2013

Scènes de la vie de brocante II

PROFILS DE CHINEURS

« Aux fêtes des puces, on a vu Robert Hue chiner en riant. »

L’Album de la Comtesse

 

A l’ombre des platanes parisiens ou des tours d’HLM de banlieue, il fait si bon chiner dans les brocantes et autres vide-greniers ! Surtout par le joli printemps que voici… Mais la saison touche bientôt à sa fin, et je vous propose de passer rapidement en revue quelques uns des joyeux chineurs qui traînent encore leurs basques entre les stands.

[Passons rapidement sur les marchands qui hantent la place dès les cinq heures du mat’ et dont j’ai déjà parlé ailleurs].

Voici donc quelques autres personnages que vous ne manquerez pas de rencontrer.

Le passionné de militaria : il achète systématiquement tout objet ou effet arborant l’élégante et bien caractéristique couleur vert-kaki. « Ouah, une gourde militaire de l’armée (sic.) ! C’est combien ? » Notez bien qu’il en a déjà accumulé une cinquantaine du même modèle au cours de ces trois dernières années, mais peu importe.

Le curieux casse-pieds qui touche à tout, examine à la loupe le cul de chaque bibelot, demande tous les prix, renifle, compare, estime, hausse un sourcil perplexe et, bien sûr, n’achète rien.

Le néophyte qui n’en croit pas ses yeux de tomber sur un exemplaire de Tintin au Pays des Soviets pour seulement 10 € « Bigre, la chance que j’ai : personne ne l’a vu avant moi ! Et en bon état en plus ! Niark-niark, je vais refourguer ça sur eBay, ma fortune est faite… » Sauf qu’il s’agit évidemment d’un fac-similé de l’édition de 1930, etc.

Le spécialisé, atteint de collectionnite aigüe : celui-ci n’achète que des monnaies françaises. Bon, là, c’est compréhensible ; mais un jour, j’ai rencontré un gars qui parcourait les stands à la recherche de « tickets de tramway de la banlieue de Buenos Aires émis entre 1909 et 1913 – neufs de préférence ». « Vous n’en avez pas ? Non ? » Et il s’en allait penaud, le dos courbé, déçu que personne ne comprenne sa passion…

Le couple de bobos trentenaires en balade et qui encombre le passage avec sa poussette (on se demande ce qu’ils viennent foutre ici. Seraient bien mieux aux Buttes Chaumont ou au parc de Sceaux).

L’écrémeur : si vous avez le malheur de passer après lui, il ne reste que les miettes. Il a le don agaçant de vous précéder d’une demi-seconde sur les stands, de s’accaparer une boîte en fer pleine de monnaies (la seule dans toute la brocante) et de prendre tout son temps à passer en revue chaque pièce sous votre regard rageur. Inutile d’espérer glaner quoi que ce soit après le passage de ce salopard. Et le pire c’est qu’on ne peut même pas rouspéter, car il y a des règles dans cet univers impitoyable : dès lors qu’un lot est entre les mains d’un potentiel acheteur, celui-ci la priorité sur la vente. Or, contrairement au commerce traditionnel, chaque article n’existe ici qu’en un seul exemplaire…

Le snob, quant à lui, aime « se faire plaisir » ; il paye rubis sur l’ongle, sans marchander (c’est d’un vulgaire), des bouquins qu’il ne lira jamais ou encore quelque babiole parfaitement inutile, mais dont la vue le désennuiera quelques heures durant l’après-midi du dimanche, et qui finira oubliée au fond d’un tiroir.

Et puis il y a enfin l’éternel chineur insatisfait, aussi désabusé qu’abruti, rechignant à tirer quelques pièces de sa poche pour s’offrir la bricole dont il meurt d’envie, mais qui n’hésite pas à s’en aller flamber un billet de 10 € à la brasserie du coin en s’octroyant un demi en terrasse et un paquet de blondes (respectivement 3,50 et 6,50 €).

La liste n’est pas exhaustive : n’hésitez pas à dénoncer ceux que j’ai oubliés ! 

en pleine négociation

En pleine négociation. Je vous laisse deviner lequel de ces personnages est en train de faire une bonne affaire…

 

30 mai 2013

Des dangers de la baignade

John Singleton Copley (1738-1815)

Watson et le requin

1778, National Gallery of Art, Washington

La scène est « basée sur une histoire vraie » (j’adore cette traduction imbécile et littérale de l’anglais based on a true story). Nous sommes en 1749, à Cuba sous domination espagnole. Alors qu’il se baigne seul dans le port de La Havane, le jeune Brook Watson (un sujet britannique, orphelin âgé de 14 ans) est attaqué à deux reprises par un requin. Le moussaillon doit son salut à l’intervention d’un canot qui mouillait à quelques encablures (ne boudons pas notre plaisir d’abuser des termes de marine, mille sabords !) Il eu finalement la chance de ne laisser qu’une jambe dans l’aventure.

Le tableau a été exécuté une trentaine d’années plus tard sur commande de Watson lui-même qui, devenu homme politique et riche négociant, voulu paraît-il mettre en garde la jeunesse de son temps contre les dangers de la baignade en mer…

Voici donc ce petit joyau de la peinture américaine naissante :

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On frémit à l’idée que le malheureux Watson soit saisi par la gueule béante aux rangées de dents acérées, car le monstre impitoyable s'apprête à n'en faire que quelques bouchées (un Spielberg se souviendra sans doute des mâchoires (jaws) du gros poiscaille !) ; mais le danger vient également des capricieux remous de la houle ballottant le pauvre garçon, nu comme un vers – ce qui le rend d’autant plus vulnérable – et dont le moins qu’on puisse dire c’est qu’il est en fâcheuse posture. Le déterminisme physique qui est à l’œuvre ne laisse que peu de place au libre arbitre.

Les occupants du canot ne semblent guère optimistes quant au sort qui attend l’imprudent baigneur : deux d’entre eux tentent désespérément de le secourir, tandis qu’à la proue, un personnage vêtu d’un uniforme d’officier de marine brandit une gaffe en guise de harpon, arme dérisoire face à la puissance de la bête vorace. Notons au passage que le peintre a représenté un Antillais à bord de l’embarcation, sans doute pour glisser une touche locale qui ne fait qu’ajouter au pittoresque de la scène (à moins que le personnage symbolise le « sombre » et funeste destin, soulignant par là l’éventualité d’un dénouement tragique). Au registre supérieur gauche, on aperçoit un trois-mâts battant pavillon britannique : il s’agit probablement du navire auquel appartient le canot de sauvetage.

L’instant saisi, qui se veut comme une espèce de cliché photographique, est totalement artificiel et construit pour laisser à penser qu’à ce moment précis se jouent plusieurs futurs possibles : le requin va-t-il happer le jeune homme ? Celui-ci réussira-t-il à saisir la corde ou une des mains qui lui sont tendues ? La gaffe va-t-elle se planter dans la tête de l’animal ?...

La référence biblique est évidente : on peut songer à Jonas avalé tout cru par le monstre marin ou encore au tyrannique Léviathan dévoreur de chair.

 

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Les lignes droites tracées par la hampe de la gaffe et celle de la rame se coupent à la perpendiculaire, or toutes deux sont aux prises avec les éléments naturels ondoyants et chaotiques matérialisés par une série de lignes courbes, incohérentes (les sinuosités de la vague, les formes ovales du requin) ; comme si un combat était engagé entre la rationalité humaine et la sauvagerie désordonnée de la nature. Ainsi avons-nous là une illustration de l’idée classique selon laquelle l’homme, par son ingéniosité et sa technique, doit sans cesse lutter pour soumettre la nature indomptée et originellement inhospitalière (futurs bacheliers bientôt candidats à l’épreuve philo, prenez-en de la graine !) 

 

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Un détail qui a son importance, car fidèle à la réalité, est pourtant assez discrètement représenté : au coin inférieur gauche, l’eau se teinte d’un rouge sombre à peine perceptible et dans lequel disparaît le pied droit de Watson. Gageons que celui-ci est déjà dans l’estomac du squale…

 

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