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La tête de l'art
4 mars 2013

Scènes de la vie de brocante I

PREMIER WEEK-END DE MARS, LA VIE RECOMMENCE !

 

« Guenille si l’on veut ; ma guenille m’est chère. »

Molière, Les Femmes savantes, acte II, scène 7.

[A l'intention du lecteur peu familiarisé avec le jargon de la brocante, certains termes "techniques" (suivis d'un astérisque*) sont expliqués en fin d'article]

 

Dimanche 3 mars, 6 heures et quart.

Ils sont venus par dizaines (ou presque), depuis les quatre coins des XIXème et XXème arrondissements : tous les brocanteurs, chineurs, traîne-savates et autres charlatans de tout poil sont fidèles au rendez-vous. Oui, car après ces longs mois d’hiver au froid glacial et aux nuits interminables, les vide-greniers parisiens reprennent enfin !

Il fait encore bien sombre, alors que je remonte la rue du Faubourg du Temple jusqu’à Belleville. Je suis tout fou comme un gosse à la veille du 1er septembre. Délicieux instants pleins d’angoisse et d’espoirs avant de retrouver l’école, les copains et copines, les bonnes et mauvaises surprises de la rentrée des classes.

À la hauteur du Zorba, je croise un groupe de fêtards attardés, passablement gris et agglutinés sur le trottoir en train de terminer leurs derniers demis. Nan, j’ai pas une clope à dépanner !

Dès les premiers mètres carrés de la brocante, les marchands* piétinent ou papillonnent d’un stand à l’autre, torche électrique en main, scrutant avec frénésie le contenu des coffres de bagnole et fourrant leur groin dans les cartons posés à terre. Des paires d’yeux clignotent dans l’ombre à la recherche de l’improbable merveille passée inaperçue…

Les pros, aux doigts déjà noirs de crasse, commencent à déballer leurs rossignols* des saisons passées : des merdouilles vieillottes, poussiéreuses, horribles et hors de prix, qu’ils n’ont pas vendu et qu’ils ne vendront jamais… Ces ringards vont proposer leur camelote à prix d’or et la remballer en fin de journée.

7 heures viennent de passer : le temps d’allumer la dernière blonde de mon paquet tandis, que le jour commence à poindre timidement à travers les nuages de pollution. Hum, l’aube darde ses lueurs derrière les buildings décrépits de Ménilmontant. Une belle journée se prépare tout de même. Je cherche désespérément un tabac ouvert. Bon, finalement, un petit café à la première brasserie du boulevard de Belleville me fait passer un moment avant de recommencer à arpenter le terre-plein central. Brrr, fait pas chaud, ma p’tite dame…

Une certitude s’impose d’emblée : aucune bonne affaire n’est en perspective. Les particuliers qui déballent leurs hardes usées jusqu’à la corde et leur drouille* de maison se disputent avec les pros dont j’ai déjà parlé. Pour ces derniers, « tout ce qui est rare est cher ». Exemple : un lingot d’or à 10 centimes, c’est rare, et donc, c’est cher ?!... Misérables businessmen du dimanche ! Le moindre des bibelots « signé » vaut une fortune. Ces crétins ne savent que se plaindre ou se vanter : « Hier on n’a rien fait à Noisy. La semaine dernière, j’ai touché 2500 € !… ».

broc 3

Un tas de bricoles sans grand intérêt, mais attention : on n’y trouve rien à moins de 5 € !

J’aime bien les lampes à souder, les casseroles en cuivre, les plaques émaillées, le cuir croustillant des reliures, les moulins à café, le laiton terni des lampes Pigeon et d’une manière générale le charme suranné de toutes ces cochonneries qui jonchent les étals.  

Un autre aspect sympa des brocs : on y voit autre chose que des antiquailles pourries exposées sur les stands. Là, par exemple, une jolie chineuse, le buste moulé dans un top de coton blanc qui lui affine la taille, se penche au-dessus d’un carton de vinyles et offre à son insu une vue plongeante sur sa gorge décolletée.

Je demande à tout hasard le prix d’une vieille coque rouillée de casque Adrian modèle 1926 (sans coiffe ni insigne). À l’annonce du tarif, je passe mon chemin sans daigner répondre ni dire « au revoir ». Tout cela, sans parler des sempiternelles cartes postales « anciennes » (représentant des cathédrales) à 1 € pièce, ni des Lagriffoul* au même prix ! Des étains cabossés, des verres fêlés, des Sarreguemines ébréchées, des gamelles en alu terni, des carcasses d’appareils électriques, des boîtes en carton jauni pleines de pièces détachées, et encore de vieilles caisses de vin en bois vermoulu (cimetières des maisons de famille) dans lesquelles les couverts de grand’mère côtoient pêle-mêle les épaves de tocantes, les poignées de porte en céramique, les cadres ruinés, les jouets d’un autre âge, les vestiges de bondieuseries, photos fanées, colifichets, fanfreluches et autres breloques délabrées, bousillées, mutilées, dépareillées, orphelines… De quoi donner le tournis !

Encore un instant : laissons-nous griser par l’odeur du temps, ces parfums de cave ou de grenier, la poussière des siècles incrustée dans les rainures des vieux meubles, toutes ces effluves qui fleurent si bon la désuétude…

broc 4

Un autre tas à peine moins inintéressant, mais attention : c’est beaucoup plus cher…

Encore est-il inévitable de se taper des stands sans intérêts (mais néanmoins incontournables) : ici un amoncellement de sculptures africaines (made in Taïwan), là le design tapageur des années 70 en plastique orange vif. Oui, car il faut bien ce rendre à l’évidence : paradoxalement, le vintage, c’est fashion !... Plus loin, un analphabète vend des livres au poids !

8 heures et demi, je m’apprête à faire un dernier tour de piste. Je pense à mon petit chat qui est resté dans la chaleur douillette de ma couette. Ce bienheureux doit encore ronfler à points fermés ou ronronner voluptueusement sans se douter que son idiot de maître traîne bêtement dans le froid d’une broc un dimanche matin. Quelle idée ! Il n’y a bien qu’un humain pour faire une chose pareille.

Sur les 9 heures, lassé, frigorifié, courbaturé et quelque peu déçu, je me décide à rentrer à la maison. Je suis bredouille, mais j’ai les mirettes pleines de rêves de brocantes à venir… Je sais surtout que j’irai désormais en banlieue, voire en province, les week-ends prochains (c’est ce que je me dis tous les ans).

Et voici maintenant encore deux photos emblématiques de cette journée inoubliable...

6 H 48 : cette charmante et sympathique vendeuse vient de finir de déballer tout son stock. Ouf ! Elle attend les clients de pied ferme :

Broc 1

 

17 H 50 : je suis repassé voir notre charmante (et sympathique) vendeuse. Après une journée bien remplie, elle s’apprête maintenant à remballer son stock…

Broc 2

 

 

Marchands : Brocanteurs ou antiquaires professionnels.

Rossignols : Articles passés de mode et devenus invendables.

Drouille : Restes de marchandise sans valeur, invendable.

Lagriffoul : Pièces de monnaies de 5, 10 et 20 centimes de francs de la Vème République (nos anciennes « pièces jaunes »). Henri Lagriffoul (1907-1981) est le graveur de la marianne de l'avers.

 

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Commentaires
D
Étrangement, le blog peine à s'ouvrir, me concernant...<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> cedric
L
Arf, je crois que j'ai reconnu la brocanteuse des dernières photos. N'était-ce pas elle qui vendait un vrai-faux cendrier en verre estampillé "Gallé" à 150 €?... J'ai failli me laisser tenter. Merci pour cette "tranche de vie", Lesly!
L
Bof, tu sais, les vendeurs ne sont guère polis non plus... <br /> <br /> J'en sais quelque chose : quand je déballe moi-même, je suis le premier à envoyer balader les clients pingres qui rechignent à se déposséder de leurs euros pour acheter mes magnifiques objets!
I
Eh oui, les belles trouvailles au cul des camions se font de plus en plus rare avec le temps... et aujourd'hui tout le monde croit avoir des trésors dans son misérable garage ! Dur dur la broc... mais rien ne justifie de ne pas dire bonjour/au revoir, maudit parisien, grrrrrrrrrrr.
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