La cruche à l'eau
Jean-Baptiste Greuze (1725-1805)
La cruche cassée
1771, Musée du Louvre, Paris
Que n’a-t-on pas raconté sur cette pauvre fille ! Humiliée, outragée, sa virginité perdue, son regard vague et désabusé, perdu dans le vide, etc. Encore une victime de la violente domination machiste. La cruche cassée qu’elle porte à son bras droit, métaphore triviale de son hymen rompu… J’aime autant vous annoncer la couleur tout de suite : non seulement je vais abonder en ce sens, mais je vais encore en rajouter plusieurs couches (et pas seulement dans le sens de l’interprétation officielle).
Regardez mieux : voyez déjà le visage poupin de cette innocente nymphette posé sur le corps d’une femme mûre. Comme si l’artiste avait voulu exprimer toute la perversité de l’adolescente déjà plus que nubile et provocatrice. Et qui nous dit finalement si cette petite garce vicieuse n’était pas consentante ?... En voilà une dont on peut dire, en tout cas, qu’elle a cessé de goûter « l’horreur d’être vierge », pour introduire une note mallarméenne.
La fontaine sculptée en forme de lion, symbole probable de la brutalité du mâle agressif et incontinent, affiche néanmoins des paupières en accent circonflexe (post coïtum animal triste), exprimant peut-être le désarroi de l’amant éconduit, vaincu, « saccagé par la griffe et la dent féroce de la femme » (Baudelaire) ; tandis que l’ornement architectural en forme de tête de bélier renvoie au satyre lascif antique ou encore (plus prosaïquement) à l’un des nombreux avatars du diable lubrique.
Comble de l’ironie (ou du mauvais goût) : la rose à moitié effeuillée, passée en travers de sa poitrine dénudée, semble garder le souvenir amer d’un désir assouvi, et qui triomphe tristement au-dessus de la brassée d’œillets roses et blancs (symboles d’amour et de fidélité conjugale) qu’elle tente maladroitement de retenir dans la candeur fanée de son vêtement, comme autant de chastes baisers.
Pour terminer, et ce n’est certes pas mon psychanalyste qui me donnerait tort, le cadre ovale du tableau n’est pas sans suggérer la forme de l’orifice vaginal…
Bonne nuit, les petits.